mercredi 26 août 2015

En République tchèque et en Slovaquie, le rejet des migrants fait consensus




Le geste se voulait de bonne volonté, destiné à calmer le tollé provoqué par les déclarations du premier ministre social-démocrate slovaque, Robert Fico, d’accueillir sur son territoire 200 réfugiés « uniquement chrétiens de Syrie ». Bratislava proposait à l’Autriche voisine d’héberger provisoirement 500 demandeurs d’asile dans un foyer vide. En un éclair, les édiles de la commune concernée, Gabcikovo, sur les rives du Danube, à la frontière hongroise, ont organisé un référendum : 97 % des 5 000 habitants se sont prononcés contre tout accueil de migrants dans cette triste bourgade.
Au lendemain de la consultation, le 2 août, le ministre de l’intérieur, Robert Kalinak, assurait à son homologue viennois que « le résultat du référendum ne change [ait] rien à la proposition ». Mais à ce jour aucun migrant en attente d’asile en Autriche n’a encore été hébergé à Gabcikovo.
« La Slovaquie n’a aucun devoir » envers les migrants
Manifestation anti-migrants à Brno en République Tchèque le 26 juin 2015.
Collectifs ouvertement xénophobes
Même l’accueil de ces réfugiés chrétiens, les seuls dont Bratislava veuille, se révèle difficile. La société de Saint-Vincent-de-Paul, qui proposait ainsi d’accueillir plusieurs familles dans un ancien monastère qui lui appartient dans la commune de Ladce (nord-ouest du pays), a dû abandonner son projet face aux protestations des 2 200 habitants, dont 70 % se déclaraient catholiques au dernier recensement.
Selon les sondages, 80 % des Slovaques refusent l’accueil des migrants, quels qu’ils soient. L’essentiel des dirigeants politiques et de la presse surfe sur cette « xénophobie ambiante » et ce« refus de la différence qui caractérisent la société slovaque », selon les mots du rédacteur en chef du quotidien libéral Dennik N, Matus Kostolny. Rare voix discordante, le chef de l’Etat, Andrej Kiska, ose un discours à contre-courant et fustige l’attitude des dirigeants qui n’affrontent pas les « discours de haine et de peur ».
M. Kiska, qui fut lui-même migrant économique aux Etats-Unis au début des années 1990, appelle ses concitoyens à « davantage de bienveillance et d’ouverture » et les hommes politiques à« expliquer qu’aucune catastrophe sécuritaire, sociale ou culturelle ne menace » en accueillant quelques centaines de migrants. Et dans le cas de l’aide proposée à l’Autriche, le président rappelle que « ce pays a été solidaire dans le passé lorsqu’il a accueilli des dizaines de milliers de Slovaques » qui fuyaient le communisme.
Mais M. Fico ne semble pas convaincu : « La Slovaquie n’a aucun devoir, expliquait-il dernièrement au quotidien viennois Die Pressece n’est pas elle qui a provoqué le chaos en Libye en bombardant Kadhafi. » M. Kisko n’a pas inspiré non plus le porte-parole du Ministre de l’Intérieur, Ivan Netik, qui justifie le choix exclusif de 200 réfugiés chrétiens par « l’inexistence de mosquée en Slovaquie » et que des « musulmans  ne pourraient  donc pas s’y plaire ».


En République tchèque, c’est le président Milos Zeman qui a pris la tête de la croisade contre les migrants. Devenu expert dans l’amalgame réfugiés-islam-islamistes-terroristes, le chef de l’Etat veut déployer des milliers de militaires aux frontières du pays à titre dissuasif. Donnera-t-il l’ordre de tirer sur les réfugiés comme ses prédécesseurs communistes, lui qui consacre l’essentiel de ses discours à prôner le bombardement tous azimuts des « islamistes » ?
Le premier ministre, Bohuslav Sobotka, qui s’est engagé auprès de Bruxelles à accueillir 1 700 réfugiés, entre autres sous la pression du patronat, qui a besoin de main-d’œuvre, entend « les choisir ». Si l’adjectif « chrétien » est apparu dans la bouche de certains responsables, d’autres critères économiques et sociaux seront pris en compte.
Malgré ces précautions, les manifestations contre l’accueil de migrants se multiplient à travers le pays à l’appel de divers collectifs ouvertement xénophobes. L’un d’eux, le Bloc contre l’islam, créé par un professeur de biologie d’une université de province, Martin Konvicka, est le plus présent. De quoi pousser la communauté scientifique et les intellectuels à lancer un appel contre la xénophobie, signé par plus de 2 500 personnes. Le porte-parole du président Zeman, Jiri Ovcacek, a condamné cette pétition, qui « creuse le fossé entre les élites et le peuple ».
L’ex-président europhobe Vaclav Klaus (2003-2013), dont la plupart des collaborateurs et des conseillers figurent à la tête des diverses initiatives xénophobes, a, une fois de plus, fixé les termes du débat : « Nous faisons face, avec cette déferlante de réfugiés allogènes, à la plus grande menace en Europe depuis des siècles. » « Nous n’avons aucune obligation morale d’accueillir tous les réfugiés, affirme-t-il encore, et la seule solution est que les pays européens décident de renvoyer dans leurs pays d’origine tous ces migrants jusqu’au dernier. »

mardi 7 avril 2015

Le président tchèque ferme son château à l’ambassadeur des Etats-Unis

   Le chef d’Etat tchèque, Milos Zeman, a décidé de fermer les portes du château de Prague, le palais présidentiel, à l’ambassadeur des Etats-Unis, Andrew Shapiro, descendant de juifs tchèques et proche du président Barack Obama. M. Zeman, qui n’a pas été reçu par l’administration américaine lors d’un voyage à Washington le mois dernier, n’a pas apprécié que le diplomate critique sa participation aux commémorations de la fin de la seconde guerre mondiale, le 9 mai prochain, à Moscou.
   M. Shapiro avait déclaré la semaine dernière à la télévision publique tchèque qu’il trouvait « étrange » que M. Zeman assiste au côté du président russe, Vladimir Poutine, au défilé militaire sur la place Rouge. Le chef d’Etat tchèque devrait être l’un des rares dirigeants ouest-européens à se rendre dans la capitale russe, avec le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et, peut-être, le président chypriote, Nikos Anastasiadis. La plupart des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne boycotteront les cérémonies du 70 anniversaire pour protester contre l’occupation de la Crimée et l’ingérence russe dans l’est de l’Ukraine.
   « Je ne vois pas l’ambassadeur tchèque à Washington dire au président américain où il doit se rendre pour ses déplacements », a déclaré M. Zeman pendant le week-end pascal au site d’information tchèque Parlamentni Listy, considéré comme l’un des nombreux relais prorusses du pays. « Je ne laisserai aucun ambassadeur dire quoi que ce soit au sujet de mes voyages à l’étranger. Je crains qu’avec cette déclaration monsieur l’ambassadeur se soit fermé les portes du château », a-t-il ajouté à la grande joie des dirigeants russes. Plusieurs hauts dignitaires du régime Poutine ont rendu un hommage appuyé à M. Zeman, et jugé que « les Américains perd[ai]ent leurs nerfs ».

Réaction « outrancière »

   Cet esclandre diplomatique entre Prague et Washington intervient au moment où pro-Russes et pro-Occidentaux s’affrontent ouvertement dans les médias, mais aussi dans la rue tchèque. La réaction de M. Zeman a été considérée comme « outrancière » par plusieurs membres du gouvernement de centre gauche de Bohuslav Sobotka, contraint de ménager le président et la ligne officielle de politique étrangère du pays, conforme à la position européenne.
   La saillie du président a eu lieu juste après une cinglante défaite médiatique des partisans de M. Poutine. L’appel des pro-Russes à manifester, la semaine dernière, contre le passage par la République tchèque d’un imposant convoi militaire américain qui rentrait de manœuvres dans les pays baltes en Allemagne s’est soldé par un fiasco. Des dizaines de milliers de citoyens ordinaires ont accueilli de leur propre initiative, le long des routes du pays, les troupes américaines, qui ont été surprises par cet accueil chaleureux : elles s’attendaient au contraire à des manifestations d’hostilité, car celles-ci sont très nombreuses sur les réseaux sociaux.
   M. Zeman rivalise avec l’ex-président europhobe Vaclav Klaus dans le soutien à Moscou. M. Klaus approuve le rattachement de la Crimée et accuse les Américains, et les Occidentaux en général, d’avoir fomenté la crise ukrainienne pour affaiblir la Russie. M. Zeman estime que la Russie n’intervient pas militairement dans l’est de l’Ukraine et désapprouve les sanctions, mais il a quand même condamné l’annexion de la Crimée.
   M. Zeman a expliqué qu’il irait à Moscou, le 9 mai, « en signe de gratitude » du fait que « nous ne sommes pas obligés de parler allemand » et « pour saluer la mémoire des 150 000 soldats soviétiques morts pour la libération de la Tchécoslovaquie ». Ces soldats sont pour la plupart tombés en Slovaquie, pays dont le président, Andrej Kiska, a refusé de venir à Moscou. Il leur rendra hommage, le 8 mai, en se recueillant dans plusieurs cimetières militaires en Slovaquie.

Article publié mardi 7 avril sur le www.lemonde.fr

dimanche 8 février 2015

Après le référendum pour "la famille traditionnelle" en Slovaquie, invalidé faute de participation suffisante

L'échec de l'Alliance pour la famille entrouvre la voie pour une reconnaissance légale des unions homosexuelles 



La déception était perceptible, dimanche 8 février, chez les fidèles rassemblés pour la messe dominicale dans les églises de Slovaquie, au lendemain du référendum contre le mariage de personnes de même sexe. En particulier dans les villages et villes du nord-est du pays, où la participation a parfois dépassé les 50%. Au niveau national, seul 21,4% des 4,4 millions d'électeurs se sont rendus aux urnes alors que la moitié des inscrits eut été nécessaire pour valider le scrutin. Même si plus de 90% des participants (944 209) ont voté oui aux trois questions (exclusivité du mariage homme/femme, interdiction de l'adoption par couples homosexuels et cours d'éducation sexuelle facultatifs pour les enfants), la tentative des conservateurs slovaques de compliquer toute évolution prochaine a échoué.

Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Anton Chromik de l'Alliance pour la famille (AzR), a estimé que quelque "20% de participation était un excellent résultat". "90% des gens ont répondu oui. Oui à la famille, oui au mariage de l'homme et de la femme, c'est extraordinaire"s'est-il par ailleurs félicité à la télévision. Au QG de l'AzR, l'humeur était toutefois moins enjouée que ne le laisse penser ces déclarations. Les sondages prévoyaient une participation de 35% et les leaders de l'AzR pensaient au moins approcher les deux millions d'électeurs (plus de 40%) lorsqu'ils étaient interrogés au cours des derniers jours de la campagne.

                                                                                                             Anton Chromík

Un tel résultat, à défaut de valider le référendum, aurait toutefois placé l'AzR dans un autre rapport de force qu'elle ne l'est finalement avec moins d'un million de participants et moins de 900.000 "oui". Les dirigeants de l'AzR veulent néanmoins s'appuyer sur ce nombre. "Le presque million d'électeurs ont prouvé que ce thème leur tient à coeur, et l'opinion de ceux qui ne sont pas allés voter ne peut être pris en compte", a affirmé M. Chromík. Son collègue, le journaliste Peter Kremsky, a également mis en garde les libéraux et LGBT en leur lançant : "Ils sont naïfs ceux qui pensent que nous sommes maintenant en minorité".

                                                 Anton Chromík, Anna Verešová, Peter Kremský, dirigeants de l'AzR

Le "Kulkurkampf" continue

Les responsables de l'AzR n'ont pas encore fait part de leurs intentions pour l'avenir - outre quelques initiatives législatives en faveur des familles et des mères en congés maternité -. Il semble néanmoins qu'ils ne s'arrêteront pas là. Ils sont en effet conscients que les valeurs qu'ils ont défendues dans ce référendum sont largement partagées par leurs compatriotes, même s'ils n'ont pas estimés nécessaire de les défendre dans les urnes.

La campagne a laissé des séquelles qui vont mettre un certain temps à cicatriser. "Je ressens une tristesse et une désillusion après ce que ce référendum a apporté à notre pays", a déclaré à la presse le président slovaque Andrej Kiska, après avoir voté dans la soirée. Il ne pouvait pas mieux exprimer son amertume en attendant la fin de la journée pour se rendre au bureau de vote. Les dérapages homophobes qui sont intervenus pendant la campagne lui ont confirmé que ce référendum n'était pas le meilleur moyen de discuter de questions d'éthique et traitant de droits de l'homme.

                                                                          Manifestation du 22 septembre 2013 à Košice

L'Eglise catholique qui s'est particulièrement impliquée dans ce référendum depuis sa gestation au lendemain de la grande manifestation "pro-vie" de Košice en septembre 2013 jusqu'à la "Lettre pastorale" lue lors de toutes les messes du pays pendant le week-end précédent la consultation, va devoir gérer les désaccords de certains croyants et ses relations avec la société. Une partie a très peu apprécié son intervention massive, sinon brutale, dans l'espace public et politique. Aussi des voix se sont fait entendre pour réclamer la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Reste à savoir si un parti reprendra cette revendication à son compte et sera capable de l'inscrire à l'agenda dans les prochaines années.

Les militants LGBT connaîtront peut-être un succès plus rapide. Martin Macko, leader de l'initiative Inakosť (Différence), a estimé que l'échec du référendum rapprochait l'adoption du PACS en Slovaquie. La mobilisation de nombreux Slovaques qui ont manifesté leur soutien et solidarité avec les membres de la communauté LGBT en Slovaquie à la suite des attaques homophobes, a rendu confiant ces derniers. Même si les débats ont montré que les résistances à l'acceptation des homosexuels étaient encore fortes, la prise de conscience du problème est le début de la solution.

Le référendum a aussi confirmé ce que les sociologues avaient constaté au cours des dernières années. La Slovaquie est coupée en deux : un nord très conservateur et peu ouvert, un sud et ouest plus tolérant et libéral. Les départements peuplées majoritairement de Magyars ont connu une abstention record. La différence de participation a ainsi varié du simple au double entre la région de Prešov et Bratislava, Trnava ou Nitra et Banská Bystrica. 

Une carte très instructive figure ici (účast signifie participation) ou encore . Cette opposition entre deux Slovaquie recoupe la division entre la Slovaquie riche et pauvre, industrialisée et plus agricole, entre les régions où les investisseurs étrangers sont nombreux et celles où ils le sont moins, où la minorité rom est très présente (à l'est) ou moins. (Celle-ci n'a quasiment pas participé au référendum.)

samedi 7 février 2015

"Kulturkampf" en Slovaquie : un référendum sur la "famille traditionnelle" contre tout nouveau droit pour les LGBT

Les organisateurs du scrutin du 7 février veulent adresser un « avertissement à Bruxelles et Strasbourg »

BRATISLAVA

Près de 4,5 millions d'électeurs slovaques sont appelés à voter ce samedi depuis 7h du matin et jusqu'à ce soir 22h à l'occasion du septième référendum organisé dans le pays depuis son indépendance en 1993. Comme les précédents, à l'exception notoire de celui sur l'adhésion de la Slovaquie à l'Union européenne en 2003 qui avait attiré presque 53% des électeurs, il ne devrait pas être validé faute de participation suffisante (50,1% des inscrits).




   Les Slovaques sont appelés à répondre à trois questions : définir dans la constitution l'exclusivité du "mariage" comme "l'union d'un homme et d'une femme", interdire l’adoption par des « couples ou groupes de personnes » homosexuels et permettre aux parents de soustraire leurs enfants à « l’éducation sexuelle et sur l’euthanasie » dans les écoles. La diction des questions ne laisse pas de doute sur le sens et la portée de la consultation qui intervient quatorze mois après un référendum en Croatie (décembre 2013) pour interdire dans sa constitution le mariage de personnes du même sexe.
   L’Alliance pour la famille (Aliancia za rodinu, AzR), à l’origine du scrutin de samedi, s’est constituée dans la foulée d’un rassemblement de l’Eglise catholique « contre l’avortement et la culture de la mort » qui avait réuni 60.000 personnes à Košice (deuxième ville du pays, à l’est) en septembre 2013, et au lendemain du référendum croate. Grâce à la mobilisation de milliers de bénévoles dans les paroisses et les associations catholiques essentiellement, elle a rassemblé 400.000 signatures au cours de 2014 sous une pétition réclamant la consultation. Aussi ne cache-t-elle pas sa filiation ni le généreux soutien de la puissante Eglise catholique.


   Elle affiche aussi clairement ses sources d'inspiration. Non seulement elle a copié le logo de la Manif pour tous qui orne ces jours-ci la cathédrale Saint Martin de Bratislava, mais les égéries d’« Au nom de la famille », la Croate Zeljka Markic, et de LMPT, Ludovine de la Rochère, ont aussi participé à la campagne référendaire slovaque marquée par de nombreux dérapages homophobes.
   Le chef de file d’AzR, Anton Chromik, un avocat de Bratislava, diplômé en théologie catholique de 38 ans, marié et père de 5 enfants, veut « défendre et soutenir la famille menacée par divers fléaux (divorce, alcoolisme, infidélité, violence conjugale, etc.) » et surtout « privilégier le droit de l’enfant à un père et une mère aux revendications des adultes ».
   Considérant l’homosexualité comme un « style de vie dangereux pour la santé », ce conservateur affirmé rejette fermement tout nouveau droit pour le « lobby homosexuel ». En particulier, il refuse la reconnaissance d’unions civiles entre personnes du même sexe, « car, comme on le sait, cela conduirait Bruxelles et (le tribunal européen des droits de l’Homme de) Strasbourg à obliger la Slovaquie à permettre l’adoption ».
   Si les sondages montrent qu’une grande majorité des Slovaques adhèrent aux valeurs défendues par l’Alliance, ils indiquent aussi paradoxalement que la participation au scrutin ne devrait pas atteindre les 50% nécessaire à sa validation. Seulement dans les régions du nord-est de la Slovaquie, bigotes et conservatrices, elle pourrait atteindre ce seuil. Outre la forte abstention qui marque généralement les élections en Slovaquie, les opposants au référendum appellent à le boycotter.



   Les libéraux estiment que la consultation est un « sondage bien coûteux » (6 millions d'euros) sur des questions qui, à défaut de ne rien changer à la législation en vigueur, creuse de nouveaux fossés dans la société où l’homophobie avait reculé.
   La définition du mariage comme union d’un homme et d’une femme est déjà inscrite dans la constitution slovaque depuis l’an dernier. Le Premier ministre social-démocrate Robert Fico, candidat malheureux à l’élection présidentielle de février 2014, avait espéré séduire l’électorat conservateur en faisant cette concession au Mouvement chrétien-démocrate qui la réclamait depuis l’indépendance de la Slovaquie en 1993. L’adoption par des couples homosexuels n’est pas autorisée et l’éducation sexuelle n’est pas enseignée dans les nombreuses écoles privées catholiques.
   Le président slovaque, Andrej Kiska, milliardaire et philanthrope, a convoqué à contrecœur ce référendum. Il a tenté de sursoir à sa tenue en soumettant les questions proposées par la pétition à la Cour constitutionnelle. Les juges ont retoqué la première question qui voulait interdire tout avantage social et fiscal aux foyers de personnes de même sexe, en raison de son caractère explicitement discriminatoire. Ils ont estimé, au grand dam des défenseurs des droits de l'Homme, que les trois autres questions pouvaient être soumises à référendum.
   Aussi M. Kiska se tient-il en retrait et a-t-il juste indiqué qu’il irait voter « par devoir civique », à l’instar de la plupart des hommes politiques slovaques qui n’ont pas donné de consigne de vote pour ne fâcher aucun de leurs électeurs. Seul le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) a appelé au vote et à cocher le "oui". De l'autre côté, le parti libéral SaS a clairement recommander le boycott. Le chef de l'Etat, conscient des risques de division dans la société, a même convoqué les évêques slovaques pour les inviter à « modérer le débat ».



   « Nous assistons à un affrontement culturel ("Kulturkampf") au sein de la société slovaque éprouvée par vingt-cinq de transformation économique, politique et sociale », estime le politologue Grigorij Meseznikov. « Alors que les sociétés européennes continuent d’évoluer, d’aucuns en Slovaquie voudraient sanctuariser ce qu’ils estiment être le cœur de l’identité nationale et sentent menacé par le libéralisme dont ils rendent responsables Bruxelles. » Pendant les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, « les nationalistes agitaient la menace que représentait, soi-disant, la minorité hongroise pour la nation slovaque », rappelle M. Meseznikov. « Aujourd’hui, selon ces mêmes cercles, ce serait les minorités sexuelles qui feraient courir des risques à la nation en menaçant le modèle familial de reproduction ».
   Malgré une religiosité des plus élevés d’Europe (70% de croyants, dont 60% de fidèles catholiques), la Slovaquie affiche un taux de fécondité parmi les plus faibles (1,3), quatre couples mariés sur dix divorcent et un tiers des naissances est issu de couples non mariés. « Des taux presque comparable à ceux constatés en République tchèque, qui est la plus déchristianisée et dotée d’une législation libérale pour les unions de personnes de même sexe », fait remarquer le journaliste tchéco-slovaque Lubomir Szmatana.


jeudi 5 février 2015

Edvard Benes, conscience tchécoslovaque


Une biographie de l’homme d’Etat pragois, figure de la diplomatie de l’entre-deux-guerres, signée Antoine Marès



Qui se souvient encore en France d’Edvard Beneš (1884-1948), probablement le dirigeant européen le plus francophile et fidèle allié que le pays n’ait jamais compté ? La première biographie en français d’un des dirigeants tchécoslovaques majeurs du XXe siècle que vient de publier l’historien Antoine Marès, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Europe centrale, se propose de réparer cet injuste oubli. Disputé à Prague au point que son héritage politique soit l’enjeu de scrutins présidentiels comme en 2013 lors de l’élection de Miloš Zeman, honni par nombre d’Allemands et par certains Slovaques, Edvard Beneš fut une personnalité européenne incontournable au cours de la première moitié du XXe siècle.

Sa longévité politique qui enjambe les bouleversements politiques et territoriaux, économiques et sociaux qu’a connu le continent en quelques décennies est exceptionnelle. Peu de dirigeants, en particulier démocratiques, qui ont croisé son chemin pendant ces années, n’ont connu un tel destin. De ses premiers pas en politique à Prague, au début des années 1910 dans l’Autriche-Hongrie, jusqu’à sa mort en septembre 1948, peu après avoir assisté impuissant à la prise de pouvoir des communistes et la mise sous tutelle soviétique du pays auquel il a consacré sa vie, Beneš a occupé pendant trente ans le devant de la scène tchécoslovaque et européenne.

Ce fils de paysan devenu professeur d’université et journaliste fut, pendant son premier exil à Paris entre 1915 et 1918, le plus proche collaborateur du « Père fondateur » et premier président de la Tchécoslovaquie indépendante, Tomáš Garrigue Masaryk. Fils spirituel et ami, il fut son ministre des affaires étrangères sans interruption de 1918 à 1935 où il est élu à la succession du patriarche. Il retrouva en 1945 le Château de Prague, siège présidentiel, après presque sept années passées à Londres aux commandes du gouvernement en exil.

Cette biographie, fruit d’un impressionnant travail de recherches dans les abondantes archives, fourmille d’anecdotes et de détails qui permettent de saisir le fonctionnement et l’évolution – mais aussi les blocages – d’Edvard Beneš, travailleur acharné et homme de réseau. Elle s’applique aussi à inscrire son parcours dans l’histoire européenne de son temps en privilégiant la dimension française.

Cet ardent francophile, formé dans les universités de Paris et Dijon, très proche de nombreux responsables politiques et diplomatiques hexagonaux, vouait une confiance sans borne à la France.  Elle ne l’a pas payé en retour, en abandonnant piteusement la Tchécoslovaquie à Hitler, ce que Beneš considéra comme une « trahison ». Le général de Gaulle qui lui exprima, dans leur exil commun à Londres, sa réprobation des honteux Accords de Munich, contribua à tempérer son ressentiment.

Fuyant l’hagiographie comme le pamphlet, Antoine Marès, au-delà d’une analyse psychologique de l’homme d’État, tente de comprendre les raisons de ses échecs à travers une mise en contexte systématique. Homme de la négociation, Edvard Beneš a pensé que par sa méthode - qui lui a si bien réussi entre 1915 et 1918, pendant la Conférence de Versailles puis jusqu’au début des années 1930 -, il pouvait convaincre ou circonscrire ses opposants et adversaires.  Diplomate corps et âme, démocrate et pacifiste, même s’il prépara son armée à la guerre qui n’eut pas lieu, il concevait très mal l’emploi de la force. Hitler et les Allemands des Sudètes, puis Staline et les communistes tchécoslovaques lui ont prouvé son erreur.

Martin Plichta


EDVARD BENES, UN DRAME ENTRE HITLER ET STALINE d’Antoine Marès, Perrin, 506 p., 26 €